A Emmanuel Macron, l’ami de la Polynésie française
Nous publions dans son intégralité l’allocution prononcée mardi soir par le président Edouard Fritch en présence du chef de l’Etat qui achève sa visite officielle en Polynésie française.
Monsieur le Président de la République,Ia ora na.
Te HakaikiTaha-Oa,Kaoha nui,
Te Taki Nui, Kura Ora.
C’est un grand honneur de partager ce moment avec vous, en compagnie des 1200 invités qui sont présents ce soir, mais aussi et surtout avec l’ensemble des polynésiens qui nous écoutent et nous regardent à la radio, à la télévision et sur les réseaux sociaux.
Vous êtes ici, sur le site de l’ancienne caserne BROCHE. C’est de cet endroitque le Bataillon du Pacifique, nos 300 « Tamarii volontaires », sont partis rejoindre leurs frères d’armes pour défendre la mère patrie en avril 1941.
75 Tamarii volontaires sur les 300 ne reverront jamais leurs familles et leur terre. Ces héros ont contribué à l’histoire de la France renaissante et la gloire de leur unité militaire. Merci monsieur le Président, d’avoir pris le temps de saluer et d’honorer ces héros, au travers des familles que vous avez rencontrées, ce dimanche, devant le monument aux morts.
Depuis votre arrivée vous avez appris beaucoup sur notre vaste territoire, sur ses habitants et sur leur attachement à leur culture et à leur identité.Ils ont aussi beaucoup appris de vous !
Un accueil communautaire exceptionnel vous a été réservé,accueil qui vous a plongé dans l’univers culturel unique et envoûtant qui est celui de nos Iles.
Vous avez pu appréhender, ici à Papeete,l’importance du Ori Tahiti pour nos artistes et pour notre patrimoine.
Vous avez pu ressentir la pureté de la nature et la profondeur de la culture ancestrale des Marquisiens qui aspirent à faire inscrire leurs trésors au patrimoine mondial de l’UNESCO.
A Manihi, dans l’archipel des Tuamotu, vous avez compris la complexité de la vie et de la gestion de ces petites communautés distantes et isolées.
Ces multiples contraintes nécessitent des efforts permanents et des ressources importantes pourque les habitants qui y résident, puissent bénéficier de conditions de vie acceptables, en dépit d’une vulnérabilité accrue sous l’effet du changement climatique.
Là-bas, vous êtes allé spontanément à la rencontre de ces personnes, pour les saluer, les écouter et être en définitive en communion avec elles.
Enfin, au cours de votre séjour, vous avez pu échanger avec de nombreux acteurs de la vie économique. Au-delà des aléas de la conjoncture, leur regard reste orienté vers le futur et l’intérêt que vous avez porté à leurs préoccupations est de nature à les rassurer.
Au nom de tous ces entrepreneurs et chefs d’entreprises, je tiens à vous remercier très sincèrement pour les aides massives qui ont été apportées par l’Etat durant la crise sanitaire, sans quoi, de nombreuses entreprises et emplois auraient bel et bien disparus.
Grâce à l’extension à la Polynésie française des dispositions des PGE, du fonds de solidarité de l’Etat (FSE), du dispositif de prise en charge des coûts fixes, de multiples artisans, artistes, commerçants, travailleurs indépendants ont été préservés de la précarité, voire de la pauvreté.
Je n’oublie pas le prêt accordé par l’Agence Française de Développement en 2020 ,garanti par l’Etat, qui a permis de financer en urgence les besoins du Pays et ceux de la Caisse de Prévoyance Sociale.
Là encore, Monsieur le Président, au nom de tous les assurés sociaux polynésiens, au nom de tous les retraités qui ont pu percevoir leurs pensions, de toutes les familles qui ont bénéficié de leurs allocations familiales, de tous les patients qui ont été pris en charge par l’assurance maladie, je vous dis merci.
Je terminerai ce volet en vous adressant la reconnaissance de tous les Polynésiens pour le soutien que vous nous avez apportés dans la lutte contre le virus de la COVID 19. Vous nous avez notamment soutenus en nous donnant un accès prioritaire et sans limite aux vaccins, et en apportant des compétences médicales via la mobilisation de la réserve sanitaire.
Votre déplacement s’inscrit dans le prolongement de la Table ronde de haut niveau que vous avez organisée à Paris,au début du mois de juillet dernier, en réponse aux préoccupations légitimes des Polynésiens.
Je retiens que les membres de la délégation REKO TIKA, « la Parole vraie », sont revenus satisfaits de ce déplacement.
Ils ont perçu, comme moi, l’évolution de la posture de l’Etat et de ses représentants sur ce dossier.
La lettre que nous venons de recevoir de Monsieur le Premier Ministre, Jean Castex, est venue confirmer ce changement de paradigme. Les premières mesures annoncées répondent en partie aux revendications récurrentes des associations et du Pays.
Beaucoup reste à faire et des négociations doivent encore être menées. Mais, nous voulons aller vite et accélérer les discussions qui ont tant trainé, comme vous l’ont demandé les personnes que nous avons rencontrées ce matin à Moorea. Président, merci pour ce moment d’écoute.
Mais ensemble, avec la bonne volonté de tous et en nous reposant sur la forte impulsion que vous avez initiée, nous parviendrons à mieux répondre aux attentes des Polynésiens.Je reste optimiste
Monsieur le Président, mon vœu le plus cher et je le crois partagé par le plus grand nombre, est de tourner cette page afin de regarder sereinement l’avenir
Je souhaite enfin que les familles qui se déchirent encore sur ce sujet clivant, trouvent dans nos réponses, le chemin de l’apaisement et de la paix.
Mais, qu’on se comprenne bien.
Tourner la page, ce n’est pas la déchirer, ni l’oublier. C’est simplement en ouvrir une autre pour écrire les chapitres à venir et construire un monde meilleur pour nos enfants, qui respecte leur histoire mais surtout qui les prépare aux défis de demain.
Vous le savez, je suis profondément attaché à notre statut d’autonomie qui offre à notre collectivité l’opportunité de se gouverner librement et démocratiquement tout en demeurant ancrée à la République, et j’y tiens.
La conjugaison de l’action du Pays et de l’Etat constitue donc à mes yeux,la condition nécessaire pour atteindre les objectifs ambitieux et légitimes auxquels aspirent les polynésiens.
Il me parait tout aussi important de veiller à notre stabilité politique et à notre unité pour que le partenariat avec l’Etat soit le plus efficient possible, sans à-coups et dans la durée.
J’appelle cela la concorde, concorde entre les Polynésiens, concorde entre les communautés, mais aussi concorde dans les relations entre la Polynésie et la France.
Mon cher Président, sans vouloir engager la Polynésie française dans des aventures institutionnelles périlleuses, comme certains le suggèrent, je suis convaincu que notre Statut ne doit pas demeurer figé, comme le prévoit son article 1er.
Dans cet esprit, après plusieurs années de préparation, une réforme importante de notre Statut est intervenue en 2019, sous votre impulsion.
Elle a permis d’inscrire dans notre loi fondamentale, la reconnaissance du fait nucléaire, d’améliorer l’organisation, le fonctionnement et la stabilité des institutions du pays, d’encourager l’action communale et intercommunale, de faciliter le règlement des problèmes fonciers et de favoriser l’administration numérique et la dématérialisation des échanges.
Dans un monde en mouvement et en transition, la Polynésie française doit, elle aussi, s’adapter « en temps réel », pour être plus efficace et mieux servir les desseins de la France et de ses habitants dans la région.Des évolutions sont utiles.
Et, il me semble que cette démarche rejoint l’esprit de la réforme initiée par votre gouvernement à travers le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.
« Ici, il y a deux peuples », disait le Général de Gaulle le 6 septembre 1966. Cette formule du Général a de fait, constitué le fondement de l’attitude de la République qui a toujours consenti à l’avancée des libertés et de l’Autonomie.
Nous voulons être dignes et fiers de notre Autonomie. Nous voulons être respectés pour ce que nous sommes, avec nos qualités mais aussi nos particularités.
En termes d’intégration régionale, je considère comme un succès l’acceptation de la Polynésie française au Forum des îles du Pacifique qui, comme nous le savons, est l’instance politique de dialogue de la région. Cette décision des Etats membres est la reconnaissance implicite de notre Autonomie, qui nous permet désormais d’interagir d’égal à égal avec nos amis du Pacifique.
Ainsi, nous pouvons être l’un des acteurs crédibles et permanent de l’Axe Indopacifique qui vous tient à cœur et, le fait d’être français et polynésien dans un contexte géopolitique tendu autour du bassin Pacifique, est pour moi une chance.
Monsieur le Président, la crise sanitaire et ses conséquences systémiques, nous invitent à repenser notre modèle et à consolider notre résilience. Vous l’avez répété à plusieurs reprises depuis votre arrivée.
Je partage cette analyse, et fort heureusement, une partie du chemin est faite.
En effet, nous avons su garder des pratiques et des gestes hérités de nos savoir-faire ancestraux, notamment dans les relations que les Polynésiens entretiennent avec leurs environnements terrestre et maritime.
Ce patrimoine transmis de génération en génération, conjugué avec le bon usage que nous ferons des technologies nouvelles, nous incite à innover et à conduire nos transitions avec une volonté affirmée de valoriser nos potentialités endogènes.
Je ne vais pas vous détailler, ici, les multiples mesures que nous aurions voulu vous exposer en matière de recherche-développement, de protection et de sécurité de nos populations, d’agrobiologie et d’auto-suffisance alimentaire, de développement d’énergies renouvelables, de protection de nos patrimoines matériels et immatériels, de tourisme durable, de pêche durable. Vous connaissez désormais notre détermination pour les faire aboutir.
Je souhaite enfin évoquer quelques mesures qui sont importantes à mes yeux.
La première concerne l’installation, à Tahiti,de l’Institut National du Cancer (INCA) qui permettra de disposer localement,dans un seul lieu, d’un plateau technique de très haut niveau au service des patients et de la recherche.
La seconde concerne la création d’un Fonds d’investissements dédié aux transitions, doté par l’Etat et qui viendrait compléter utilement les dispositifs de financement existants. Il s’agirait ici d’accompagner des entreprises et des initiatives innovantes au bénéfice d’acteurs économiques ou associatifs engagés dans le changement.
La troisième concerne la demande de prêt que nous avons déposée auprès de l’AFD et de l’Etat pour financer notre plan de relance mais aussi pour soutenir la CPS et Air Tahiti Nui. La garantie de l’Etat permettrait de finaliser cette opération prochainement. J’attends votre réponse et je vous en remercie d’avance.
Monsieur le Président, nous avons une vision, un cap et de réelles ambitions pour notre Pays. Nous avons la volonté d’agir vite et bien, au bénéfice des 280 000 habitants de nos archipels et en particulier, je pense aux jeunes qui veulent bâtir leur avenir ici.
Avec l’Etat comme partenaire à nos côtés, nos chances de réussir sont plus grandes.
Pour les Polynésiens, un partenaire c’est celui avec qui on fait équipe, celui que l’on respecte et qui nous respecte, celui qui conjugue sa force avec la nôtre, celui qui vous tend la main quand les aléas de la conjoncture vous accablent.
A ce titre, j’attire votre attention sur le sort des Polynésiens qui s’engagent dans les forces armées ou de sécurité pour qu’ils puissent bénéficier d’un traitement juste et équitable lorsqu’ils s’installent en métropole.
Outre la retraite,il y a le sujet fonctionnaires d’origine polynésienne (enseignants, policiers, militaires de carrière…) qui ont toutes les peines du monde à faire reconnaître le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Je vous propose qu’un comité consultatif mixte, Etat-Pays, soit mis en place pour examiner ensemble leur situation et donner un avis approprié aux circonstances.
Monsieur le Président, j’ai probablement été trop long mais l’occasion de recevoir le Chef de l’Etat est suffisamment rare pour ne pas en profiter.
Je m’adresse donc à vous, comme à un ami de la Polynésie. J’ai suffisamment d’expérience et d’intuition pour percevoir en qui nous pouvons avoir confiance, sur qui nous pouvons partager nos peines et nos liesses. Je n’ai pas de doute, j’ai confiance en vous, comme certainement une grande partie des Polynésiens.
Vous avez pu constater que les Polynésiens sont honorés de vous recevoir. L’accueil enthousiaste, sincère et spontané, qui vous a été réservé au cours de votre séjour en atteste.
Les Polynésiens veulent compter sur vous pour défendre avec conviction cette nouvelle vision des relations qui doivent exister entre la Polynésie et la France, ce nouveau paradigme, comme vous aimez à le dire, qui se consolidera autour du respect, de la vérité et de la confiance rétablie.
La France, par votre intercession, saura se montrer reconnaissante pour nous aider à tourner la page en veillant à préserver la mémoire des faits au bénéfice des générations futures. Je suis enfin confiant qu’elle s’engagera à nos côtés, avec détermination pour construire un lendemain qui sera nécessairement durable et humain.
Monsieur le Président, vous arrivez au terme de votre visite officielle et je suis heureux et très fier du travail qui a été réalisé par les uns et par les autres pour vous accueillir.
L’occasion m’est donnée ici de remercier toutes celles et tous ceux qui ont œuvré pour la réussite de votre visite.
Mes remerciements s’adressent également aux Tavana qui n’ont pas failli dans leurs responsabilités pour que les cérémonies et les visites soient à la hauteur des espérances.
Enfin, un grand mauruuru aux personnels de l’Etat et du Pays sans qui tout cela n’aurait pas été possible.
Les Polynésiens vous ont parlé avec leur cœur.Vous avez montré, vous aussi, par votre empathie naturelle, l’homme au grand cœur que vous êtes,et cela restera à jamais gravé dans nos mémoires.
Que Dieu nous bénisse et vous bénisse, vous et votre chère épouse.
Vive la Polynésie française,
Vive la République,
Vive la France