23 novembre 2024

3160 milliards d’euros, le casse-tête de la dette française

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Comme tous les ans à la même période, l’institution de la rue Cambon a rendu son rapport sur la situation et la perspective des finances publiques. Dévoilé ce lundi, le document de 147 pages est particulièrement alarmiste. Il décrit une « situation préoccupante » pour les finances publiques, mises à mal par des mois de crise sanitaire et l’épisode inflationniste le plus violent depuis le début des années 80.

Dans une période de haute incertitude politique, la vigie budgétaire du pays appelle à engager « résolument » un effort de réduction du déficit public, à la fois « crédible » et documenté. Le rapport constitue tout autant une forme de remontrance à l’égard de la majorité sortante, qui a différé les « véritables efforts » à entreprendre, qu’une alerte à destination du gouvernement à venir et de ses successeurs.

Les objectifs de la trajectoire pluriannuelle 2024-2027 jugés « peu réalistes »

La publication a de quoi planter le décor, alors que la préparation technique du prochain budget a commencé dans les services à Bercy. Après une année 2023 qualifiée de très « mauvaise », en raison du dérapage du déficit à 5,5 % du PIB, au lieu des 4,9 % attendus, la Cour des comptes soulève des « risques importants » sur la trajectoire redéfinie au printemps dans le cadre du programme de stabilité, transmis à la Commission européenne. En raison de l’entrée en vigueur d’une nouvelle gouvernance budgétaire dans la zone euro, l’exécutif européen va d’ailleurs proposer formellement ce 16 juillet l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif.

Même s’il est dégradé par rapport à la loi de programmation des finances publiques du 19 décembre 2023, le chemin inscrit en avril dans le programme de stabilité n’a pas convaincu sur les sages de la rue Cambon, qui évoque des « objectifs peu réalistes ». « Cette trajectoire, peu ambitieuse dans ses cibles de déficit et de dette, avec un retour in extremis du déficit sous les 3 % en 2027 et une stabilisation tardive du ratio de dette publique à un niveau supérieur à celui de 2023, soulève une question de crédibilité », interroge l’institution financière indépendante.

La Cour des comptes affiche son scepticisme pour l’année 2024, elle mentionne des « risques importants » sur la cible d’un déficit à 5,1 %, un « objectif loin d’être acquis ». L’an dernier, la sortie de route s’expliquait surtout par des recettes moins abondantes que prévu. Pour cette année, la Cour s’interroge sur la réussite de la maîtrise des dépenses. Les « imprécisions » sur les 15 milliards d’économies, les incertitudes les dépenses de la Sécurité sociale comme des collectivités locales, la validation dans la loi de finances en décembre de taxes rétroactives sur l’année des rentes sur l’énergie, autant de paramètres qui détermineront le résultat final. Comme l’Inspection générale des finances la semaine dernière, les magistrats rappellent également que plusieurs facteurs sont aussi susceptibles de pousser les dépenses à la hausse, comme la crise agricole ou encore les troubles en Nouvelle-Calédonie. « Après le dérapage de 2023, il est impératif de crédibiliser les objectifs pour 2024 en dissipant le flou entourant les économies et les hausses de prélèvements qu’ils supposent », appelle la Cour des comptes.

Des hypothèses de croissance « particulièrement optimistes » et un effort non documenté

Quant aux trois années suivantes, le rapport épingle également un certain nombre de faiblesses, à commencer par les prévisions sur laquelle est construite la trajectoire. La Cour des comptes estime que les hypothèses de croissance sont « trop optimistes ». Deuxièmement, il n’est pas tenu compte ni « de l’impact dépressif des hausses de prélèvements obligatoires prévues », ni d’un « ralentissement sans précédent des dépenses publiques ». Celui-ci devrait progresser de 0,2 % en volume, en moyenne par an sur la période 2025-2027, hors mesures exceptionnelles et hors charges d’intérêt.

La Cour des comptes estime que le programme de stabilité prévoit « 21 milliards d’euros de prélèvements obligatoires supplémentaires », en cumul, pour la période 2025-2026. « Notre ligne reste la stabilité fiscale », a répliqué Bruno Le Maire ce lundi depuis Bruxelles. Le ministre de l’Economie et des Finances estime que les prélèvements obligatoires devraient davantage suivre l’évolution du PIB, ce qui n’a pas été le cas l’an dernier.

Fidèle à son mantra depuis plusieurs années, la Cour des comptes alerte en particulier sur la hausse régulière de la charge de la dette. De 50,9 milliards d’euros en 2022, celle-ci pourrait atteindre 83 milliards d’euros à l’horizon 2027. En clair : la trajectoire de dépense publique, « très contrainte », « exigera des réformes d’ampleur ».

Les magistrats se sont d’ailleurs livrés à plusieurs scénarios. Si la croissance atteint 1 % en moyenne chaque année – c’est-à-dire en dessous de la croissance potentielle de 1,35 % visée par le gouvernement – la dette publique équivaudrait à 116 % du PIB en 2027, et non 112 %. En prenant ajoutant l’hypothèse d’une stabilité fiscale et d’un maintien de la tendance des dépenses à ce qu’elle était avant la crise, la dette pourrait s’envoler à plus de 119 % du PIB. Dans une réponse écrite, le ministère de l’Economie souligne que son estimation de croissance est « très proche » de celle du Fonds monétaire international.

Pour rappel, la dette s’est creusée à près de 110 % du PIB à la fin du premier trimestre 2024, soit 3160 milliards d’euros, selon l’Insee. « Réduire notre dette est une ardente obligation. Ce n’est ni de gauche ni de droite : c’est d’intérêt général » a insisté ce lundi dans les colonnes des Echos, le premier président de la Cour des coptes, Pierre Moscovici. Et d’ajouter, à l’adresse des futures potentiels gouvernements : « À chacun ses remèdes, mais il faut arriver à un consensus pour réduire la dette. »

Un appel à intégrer le coût de la transition énergétique dans la programmation des finances publiques

Cet appel à un assainissement des comptes intervient alors qu’un autre défi se pose pour les finances publiques : la lutte contre le réchauffement climatique. Comme les autres Etats européens, la France s’est engagée sur chemin de la neutralité carbone en 2050. Un chantier colossal qui va nécessiter un « mur d’investissement », aime à répéter Pierre Moscovici. Et pour cause, la France va devoir réaliser un effort, de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre entre 2022 et 2030, similaire à ce qu’elle a pu faire entre 1990 et 2022, c’est-à-dire en quatre fois moins de temps.

Les marges de financement sont « particulièrement étroites », selon la Cour des comptes, qui liste toute une série d’impacts sur les finances publiques. Les recettes tirées des ventes de carburants vont progressivement s’éroder, et le réchauffement climatique va avoir un impact négatif sur la croissance. Cumulés avec les investissements nécessaires, ils pourraient accroître la dette de 7 points de PIB à l’horizon 2030.

Pour la Cour des comptes, il est « urgent de mieux articuler la planification de la transition énergétique et la programmation des finances publiques ». L’institution préconise d’inclure cette question dans les futurs textes financiers, une stratégie pluriannuelle étant l’occasion de « clarifier » les efforts entre acteurs privés et acteurs publics.

Source: Public Sénat

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