Analyse brillante de Marc Touati: « La flambée inflationniste n’est pas née avec la guerre en Ukraine »
Entre l’inflation, la hausse des taux et la récession qui se profile, la Bourse a été chahutée. 2022 aura été l’année de la correction des excès, une tendance qui devrait se poursuivre en 2023, juge le chroniqueur Marc Touati, président d’ACDEFI.
Après avoir créé “l’argent magique” à coup de milliards de dollars, d’euros, de yens…, ceux-ci ont effectivement entraîné le monde dans une spirale inflationniste incontrôlable, qui a notamment suscité une flambée des taux d’intérêt et une récession mondiale qui devient de plus en plus dramatique. Ainsi, même s’il n’est pas possible de résumer une année en quelques paragraphes, il est possible de dire que 2022 a été marquée par huit grands événements économiques et financiers.
1. L’explosion de l’inflation. En effet, dans la quasi-totalité des pays du globe (hors Chine), l’inflation a atteint des sommets parfois historiques et généralement oubliés depuis le début des années 1980. Avec un niveau de 92,4 % en novembre, l’Argentine décroche la palme de la plus forte inflation, suivie de près par la Turquie avec 85,5 %. Les pays d’Europe de l’Est ne sont pas en reste, avec des niveaux proches de 20 % (environ 22 % pour les pays Baltes, 20 % en Hongrie, 17,9 % en Pologne…).
Les pays d’Europe de l’Ouest ne sont pas loin : 14,3 % aux Pays-Bas, 11,5 % au Royaume-Uni, 10,6 % pour l’ensemble de la Zone Euro et 7,1 % en France. Quant aux Etats-Unis, l’inflation y a atteint un plus haut de 9,1 % en juin, avant de reculer à 7,1 % en novembre.
Même le Japon, qui semblait abonné éternellement à la faible inflation, a connu une poussée de cette dernière à 3,8 %, un niveau qui n’a été dépassé qu’à deux reprises en 41 ans, précisément en novembre 1990-janvier 1991 et en novembre-décembre 1981. Enfin, soulignons que l’inflation de l’ensemble de l’OCDE a atteint 10,7 %, un plus haut depuis le début 1988, qui était lui-même un plafond depuis avril 1983.
Seule exception à cette dérive inflationniste mondiale, la Chine a étonnamment enregistré une inflation modérée qui, après avoir atteint un “point haut” de 2,8 % en septembre a reculé à 1,6 % en novembre. Mais lorsque l’on sait que, selon les chiffres officiels du gouvernement chinois, il n’y aurait eu que 5 242 décès du Covid 19 en Chine depuis 2020, alors que chaque jour, il y a en moyenne 30 000 décès dans l’Empire du milieu, est-il vraiment possible de faire confiance aux statistiques chinoises ?
Pour celles et ceux qui l’auraient oublié, rappelons que cette flambée inflationniste n’est pas née avec la guerre en Ukraine. Son origine première est relative à l’excès de dettes publiques et de “planches à billets ” en 2020 et surtout 2021 qui a suscité un excès de demande par rapport à l’offre et a mis par là même le feu aux poudres inflationnistes. La guerre en Ukraine a ensuite mis de l’huile sur le feu. Mais, là aussi, nous payons les erreurs du passé, dans la mesure où si de nombreux pays européens n’avaient pas arrêté ou réduit massivement leur production d’énergie nucléaire ou encore de blé.., l’Europe et le monde n’auraient pas été aussi dépendants des matières premières énergétiques et alimentaires russes.
2. Dans ce contexte de forte inflation et après s’être obstiné à refuser de voir la réalité inflationniste en face, en particulier au sein de la BCE, les banques centrales ont enfin arrêté leurs “planches à billets” et ont remonté leur taux d’intérêt directeurs. Entre mars et décembre 2022, le taux objectif des federal funds est ainsi passé de 0,25 % à 4,5 %. Avec plusieurs trains de retard, la BCE a augmenté son taux refi de 0 % à 2,5 % entre juillet et décembre.
3. Dans le sillage du déni de réalité de la BCE qui a préféré maintenir son taux refi à 0 % jusqu’en juillet 2022, tandis que la Fed a réagi dès le mois de mars, l’euro s’est effondré à 0,95 dollar fin septembre, atteignant un plus bas depuis 2002. La poursuite du resserrement monétaire de la BCE, alors que la Fed laissait anticiper un certain apaisement, a ensuite permis à l’euro de rebondir vers les 1,06 dollar, ce qui reste néanmoins toujours très loin du niveau de la parité des pouvoirs d’achat, en l’occurrence entre 1,10 et 1,15 dollar pour un euro.
4. Plutôt que d’affronter la vague inflationniste avec réalisme et rationalité, les pouvoirs publics de très nombreux pays ont préféré continuer leur fuite en avant initiée en 2020-2021, en poursuivant l’augmentation de la dette publique. En France, cette dernière a ainsi battu un nouveau record de 2 956,8 milliards d’euros au troisième trimestre 2022, en attendant de dépasser la barre des 3 000 milliards d’euros fin 2022 ou début 2023 au plus tard.
5. Compte tenu de l’explosion de l’inflation, de la flambée des dettes publiques et de la remontée des taux directeurs des banques centrales, les taux d’intérêt des obligations d’Etat ont également bondi, suscitant un krach obligataire historique. De – 0,37 % début 2021 et encore 0 % début 2022, le taux d’intérêt des obligations de l’Etat français à dix ans s’est tendu à 3,05 % fin décembre 2022, un sommet depuis avril 2012.
Même l’Allemagne est touchée par ce krach, puisque le taux d’intérêt du Bund 10 ans a dépassé les 2,5 %, un plus haut depuis juillet 2011. L’Italie affiche néanmoins le taux d’intérêt à dix ans le plus élevé avec un niveau de 4,64 %, un plafond depuis octobre 2022 qui était lui-même un sommet depuis juin 2013.
6. Dans ce triste contexte de forte inflation et de remontée des taux d’intérêt, la récession n’a évidemment pas tardé à faire son retour sur l’ensemble du globe. Celle-ci a donc commencé dès la fin 2022 et se prolongera au moins jusqu’au printemps 2023.
7. Conséquence logique de la fin des “planches à billets”, de la remontée des taux d’intérêt monétaires et obligataires et du retour de la récession, les cours boursiers ont fortement reculé. Et ce notamment pour les valeurs du numérique, qui, après s’être envolées dans une bulle aussi impressionnante qu’irrationnelle, connaissent désormais un effet boomerang particulièrement dévastateur. Entre le point haut du 19 novembre 2021 et le 28 décembre 2022, l’indice Nasdaq a ainsi subi une dégringolade de 36,4 %, se situant sur un plancher depuis le 2 juillet 2020. Entre leurs plus hauts de l’automne 2021 et leurs plus bas de décembre 2022, toutes les anciennes stars de la bulle de 2020-2021 enregistrent des chutes vertigineuses : – 88,5 % pour Zoom, – 76 % pour Meta (ex-Facebook), – 73,4 % pour Tesla… Même Amazon a vu son cours boursier chuter de 55,7 %, retombant à un plancher depuis le 8 mars 2019 (des chutes vertigineuses correctement anticipées par Momentum, la lettre d’investissement de Capital, NDLR).
8. Enfin, après avoir laissé croire au père Noël, les cryptomonnaies se sont également effondrées, chutant entre 75 % pour les plus résistantes et 98 % pour la grande majorité d’entre elles, beaucoup ayant tout simplement disparu…
En conclusion, que ce soit en matière de dérapages budgétaires et monétaires, de planches à billets, de taux d’intérêt obligataires artificiellement bas ou encore de bulles financières en tous genres, l’année 2022 a donc bien été celle de la correction des erreurs et des excès du passé. Autrement dit, l’année de la remise des pendules à l’heure et du retour du bon sens. Une tendance qui devrait se confirmer en 2023, comme nous le verrons la semaine prochaine dans nos prévisions de l’année à venir. En attendant, toute l’équipe d’ACDEFI se joint à moi pour vous souhaiter d’excellentes fêtes et, par avance, une formidable année 2023. Comme disait Téléphone en 1980, “Argent trop cher, la vie n’a pas de prix”.
Marc Touati, économiste, président du cabinet ACDEFI et auteur de 7 best sellers économiques
Photo: DR