E. Fritch à l’ONU: « La dignité d’un peuple ne se construit pas nécessairement dans l’indépendance »
Voici l’allocution intégrale prononcée par la président Edouard Fritch ce jour à New-York devant la 4ème commission de l’ONU.
Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Madame la Présidente, merci de nous accueillir à nouveau parmi vous.
Je suis Président de la Polynésie française depuis septembre 2014, réélu démocratiquement en 2018, avec une large majorité de 66 % du Parlement de Polynésie. Depuis 35 ans, je milite pour une large autonomie de mon Pays.
En octobre 2016, j’étais à cette tribune pour la première fois. Depuis, je n’ai cessé de démontrer, par des faits et des réalités, que mon pays ne vit nullement une situation coloniale, ni une situation d’oppression, ni une situation de prédation ou de confiscation de ses richesses naturelles par qui que ce soit.
Cette large autonomie nous a permis de bâtir nous-mêmes, avec nos médecins, nos plans de lutte contre la covid19 et d’apporter, à notre manière, notre réponse sanitaire, économique et sociale face à la pandémie.
Nous avons pu compter sur le soutien entier de l’Etat français depuis mars 2020. Rien qu’au cours de ce dernier mois de septembre, la France a envoyé, à sa charge, plus de 200 soignants français en Polynésie, 44 sapeur-pompiers pour soutenir nos équipes médicales.
L’Etat français a également organisé le 16 septembre dernier, avec des moyens exceptionnels, l’évacuation sanitaire vers Paris, à 18.000 km de Tahiti, de huit patients gravement atteints par la Covid. Cette opération a été une première mondiale, et a soulagé nos services hospitaliers de réanimation.
A ce jour, la Polynésie a reçu gratuitement 350 000 doses de vaccins fournies par l’Etat français. Grâce à ce soutien, 70 % de Polynésiens de plus de 12 ans, soit 154 000 personnes sur 280 000, sont complètement vaccinés ou ont reçu au moins une dose de vaccin.
Sur le plan économique et financier, plus d’un milliard de dollars US ont été mobilisés en un an et demi par le gouvernement de la Polynésie française (pour 30 %) et l’Etat français (pour 70 %) afin de soutenir les entreprises et les familles polynésiennes durant cette période de crise.
Pour financer la relance de notre économie, deux prêts d’un montant total 680 millions de dollars US garantis par l’Etat français ont été consentis. Ils servent à financer les mesures d’urgence, à sauver nos régimes de protection sociale, et à engager les premières mesures de relance.
Ces gestes réels et avérés sont une manifestation concrète de la solidarité de la France envers son territoire autonome et ses habitants. Nous sommes reconnaissants envers l’Etat français. Cela vient renforcer nos liens de partenariat avec la République française, et je tiens à le souligner.
Au-delà de la crise Covid, la Polynésie française est résolument engagée dans la lutte contre le changement climatique qui demeure la principale menace pour les îles du Pacifique et ses peuples.
Notre objectif est d’atteindre une réduction de 50 % de nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Pour cela, un Plan Climat-Air-Energie est mis en œuvre. Nous favorisons également la production, à grande échelle, d’énergie solaire pour nos îles.
Nous nous sommes engagés en 2017, lors de la Conférence sur les Océans de l’ONU, à classer notre zone économique exclusive de 5 millions de km2, Te Tai Nui Atea, en Aire marine gérée. C’est une réalité. Cet engagement est conforme à notre volonté, nous polynésiens et océaniens, de préserver notre héritage commun que nous appelons, avec nos frères du Pacifique, « the Blue Pacific Continent ».
D’autre part, nous interpellons l’opinion internationale afin que cessent les pêches illicites dans le Pacifique, et que cesse également la pêche à la senne ou l’utilisation de filets dérivants qui massacrent les ressources marines, notre patrimoine commun. Lors du Congrès mondial de l’IUCN tenu dernièrement à Marseille, la Polynésie a officiellement lancé cet appel.
Nous avons également collaboré avec les pays membres du Forum du Pacifique à l’élaboration et à l’adoption de la déclaration sur la préservation des zones maritimes face à la montée du niveau de la mer, en conformité avec la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS).
Madame la Présidente, pour faire suite aux échanges des dirigeants du Forum du Pacifique avec le Secrétaire général de l’ONU, M. Antonio Guterres, auxquels j’ai participé il y a deux semaines, permettez-moi de profiter de cette tribune pour lancer un appel solennel aux Nations du monde afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour ralentir le réchauffement global et limiter l’augmentation de la température à moins de 1,5 °C. Il y va de la vie des générations actuelles et futures.
Madame la Présidente, j’entends également que notre région du Pacifique fait l’objet d’intenses crispations entre les grandes puissances.
Alors que la Polynésie fait l’objet, ici, d’un débat sur la décolonisation, nous sommes perturbés et très préoccupés par les menaces qui peuvent peser sur notre région par les confrontations géopolitiques et géostratégiques au sein du Pacifique. Ne croyez-vous pas que ce sujet est plus vital pour l’équilibre du monde que celui de la « décolonisation de la Polynésie » ?
Sur le dossier nucléaire en Polynésie française, le travail se poursuit en partenariat et en concertation avec l’Etat français. Une grande table ronde a été organisée à Paris au début du mois de juillet dernier, à l’initiative du Président de la République, Emmanuel Macron. Cette table ronde était intitulée « Justice et vérité sur les essais nucléaires en Polynésie ».
Ainsi, des annonces ont été faites par le Président de la République française sur notamment, l’ouverture des archives et sur l’indemnisation des victimes avec un meilleur suivi de leurs dossiers. L’Etat français et la Polynésie ont la volonté commune de répondre aux attentes des Polynésiens sur ce sujet.
Enfin, mon Pays s’engage sur les objectifs de développement durable et les intègre dans ses politiques publiques.
Notre rapport a fait l’objet d’une transmission au secrétaire général de l’ONU et à l’unité de décolonisation avec le souhait qu’il soit pris en compte dans le cadre de nos travaux.
Aussi, je souhaiterais qu’un paragraphe dans la résolution de la Polynésie française y soit consacré afin de faire état de l’adhésion de mon gouvernement à l’agenda 2030 de développement durable de l’ONU.
Madame la Présidente, chers membres de l’ONU, vous l’avez compris, la Polynésie française est un Pays jouissant d’une large autonomie au sein de la République française. Mon Pays, doté d’une autonomie financière, prend en main son destin et son développement économique et social. Il participe avec conviction aux enjeux régionaux et globaux communs.
Aujourd’hui, mon peuple désire conserver ce statut particulier de large Autonomie au sein de la République française, statut qui nous confère suffisamment de compétences pour forger notre avenir comme bon nous semble.
Nous sommes avant tout Polynésiens, mais également Français et Européens.
80 % de la population vivant en Polynésie française est autochtone. Les Polynésiens sont présents dans tous les rouages économiques, sociaux et politiques. Nous dirigeons et gérons notre Pays. Notre destin est bien entre nos mains. La Polynésie française n’est pas une colonie qu’il faut décoloniser.
L’indépendance peut convenir à certains pays, et pas à d’autres. L’indépendance n’est pas la seule voie ou la voie miracle qui permet à un peuple d’être heureux. La dignité d’un peuple ne se construit pas nécessairement dans l’indépendance. D’autres voies sont possibles, et elles sont évoquées dans la Charte des Nations Unies.
Aujourd’hui, chers membres de l’ONU, il faut accepter le fait démocratique que mon peuple n’a toujours aucun désir d’indépendance.
Pour conclure, madame la Présidente, je renouvelle mon invitation à votre assemblée de dépêcher une mission en Polynésie française afin d’évaluer par elle-même la situation de mon Pays.
Je vous remercie de votre attention.