20 novembre 2024

Eric Spitz: « Les religieux n’ont pas à parler au nom des peuples, encore moins au nom des États »

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Voici le discours, dans son intégralité, prononcé ce jeudi matin à l’assemblée de la Polynésie française par le haut-commissaire, Eric Spitz, pour la célébration de la Journée internationale des Nations Unies. L’occasion pour lui de fustiger les religieux qui ont tendance à trop s’immiscer dans les affaires politiques. Ici comme ailleurs dans le monde.

Dans dix ans, dans vingt ans, dans cent ans, que diront nos enfants, et les enfants de nos enfants, de ces jours si sombres et de ces heures cruelles, de ces instants absurdes et de ces morts inutiles ? que diront-ils de ces guerres inégales et de ces conflits atroces ?

Et que diront-ils de nous ?

Nous nous réunissons pour célébrer la Journée de la Paix des Nations Unies.

Célébrer : nous mesurons bien tous la vanité de ce terme !

Et pourtant, dans le contexte actuel, cette journée-là ne revêt-elle pas un caractère bien particulier qui lui confère soudain une extraordinaire importance ?

Dans un monde où les conflits armés, les tensions géopolitiques et les crises humanitaires se multiplient, il est essentiel de rappeler que la paix est plus qu’un simple idéal. C’est une nécessité, une responsabilité que nous partageons tous, au niveau local comme au niveau mondial.

Comment pourrions-nous rester silencieux face aux guerres qui déchirent des régions entières, où des millions de personnes sont déplacées de leurs foyers, fuyant la violence, la faim et la persécution ? Comment pourrions-nous rester indifférents alors que la guerre en Ukraine, aux portes de l’Europe, continue de semer la mort et la destruction, alimentant l’instabilité mondiale ?

Comme l’a souligné António Guterres, et je reprends ses mots comme je l’avais fait l’an dernier « la paix est plus nécessaire aujourd’hui que jamais », et cette affirmation résonne puissamment alors que notre monde vacille sous les coups de l’injustice, de l’avidité, et de l’intolérance.

Mais cette paix, que nous évoquons aujourd’hui, ne doit pas seulement être comprise comme l’absence de guerre. Elle doit se bâtir sur des fondations solides : la justice, l’égalité, la coopération, et surtout, le respect des droits humains. La paix véritable implique de construire des sociétés plus justes, plus équitables, où chacun peut vivre libre de la peur, de la violence, et de l’oppression.

La Polynésie française, même si elle est géographiquement éloignée des zones de conflit, n’est pas épargnée par ces enjeux globaux. Et le tir d’un simple missile nous le rappelle. La Polynésie porte, elle aussi, une histoire marquée par des luttes pour la préservation de son identité et de sa culture.

Nos archipels, loin de se fermer au monde, sont pleinement engagés dans cette quête universelle pour la paix. Et cela se manifeste au quotidien, dans nos efforts pour concilier développement économique et préservation de notre environnement, dans notre volonté de sauvegarder notre patrimoine tout en adoptant les outils modernes qui nous permettent de mieux nous connecter aux autres peuples.

La Polynésie et la France face à l’histoire de la guerre

Inlassablement, il nous faut rappeler que la Polynésie, bien qu’éloignée des grands théâtres de guerre, a néanmoins payé un tribut considérable lors des conflits mondiaux. En 1914, des Tahitiens se sont engagés pour défendre une patrie qui, pour eux, semblait lointaine, mais dont les valeurs étaient proches de leur cœur. Le Bataillon du Pacifique en 1940 a, lui aussi, répondu à l’appel de la France libre, contribuant à la défense de la liberté et des droits fondamentaux. Même aux confins du monde, nous ne sommes pas étrangers à la lutte pour la paix.

L’histoire de la France est, elle aussi, profondément marquée par des conflits sanglants. De la Guerre de Cent Ans aux conflits mondiaux du XXe siècle, notre pays a vu naître sur son sol des batailles qui ont façonné l’Europe et le monde. Mais cette même France, qui a tant souffert de la guerre, a su devenir un acteur majeur de la paix. Léon Bourgeois, prix Nobel de la paix en 1920, a été l’un des premiers à proposer l’idée d’une Société des Nations, prélude à l’ONU, afin de prévenir les conflits futurs. René Cassin, architecte de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, a jeté les bases d’un ordre mondial fondé sur le respect de la dignité humaine.

Le défi actuel : l’urgence de la paix

Aujourd’hui, cette tradition de paix est plus nécessaire que jamais. La guerre en Ukraine n’est pas seulement un conflit entre deux États. Elle représente un choc entre deux visions du monde. La première, celle de l’autoritarisme, cherche à imposer sa volonté par la force, en déniant aux peuples le droit de choisir leur propre destin. La seconde, celle de la démocratie, aspire à la liberté, à la transparence, et au respect des droits de chacun. Il est clair, dans ce combat, que la France se tiendra toujours du côté de la démocratie, des droits humains, et de la paix.

Mais ce n’est pas le seul foyer de tension. Nous sommes également témoins des horreurs qui frappent le Proche-Orient, où l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 a choqué le monde entier par sa barbarie. Face à cette violence, la France a réaffirmé et réaffirme chaque jour son soutien au peuple israélien. Mais la France ne peut se satisfaire de la souffrance du peuple palestinien. La France continuera toujours de plaider pour une solution juste et équitable, basée sur la coexistence de deux États. Car il n’y aura jamais de paix durable sans justice pour les Palestiniens, tout comme il ne saurait y avoir de sécurité sans reconnaissance du droit d’Israël à exister en paix.

La paix n’est donc pas une question d’idéalisme naïf. Elle est fondée sur des principes clairs : le respect du droit international, la reconnaissance des droits de chaque peuple, et la capacité des nations à dialoguer et à trouver des compromis. C’est un équilibre fragile, mais essentiel.

Les défis contemporains : la démocratie menacée

Nous observons également, avec inquiétude, la montée des autocraties, et cela même au sein des plus vieilles démocraties. La tentation de l’homme fort, du leader providentiel, séduit de plus en plus. Et cette tentation, nourrie par les peurs face à un avenir incertain et par la montée des inégalités, constitue une véritable menace pour la paix mondiale. Les populismes, les fanatismes religieux et politiques, exacerbent les divisions et fragilisent les fondements mêmes de nos démocraties.

Les religieux n’ont pas à parler au nom des peuples, encore moins au nom des États. Qu’ils demeurent dans la sphère privée de la croyance, de l’opinion et des habitudes cultuelles.

Méfions-nous des nouveaux Prophètes, Savonarole illuminés, autant que des guides suprêmes, tyrans pervers avant de sombrer dans la débilité sénile.

Face à toutes ces dérives, nous devons rester inébranlables. Défendre la démocratie, c’est défendre la paix.

Là où la liberté est menacée, où les droits humains sont bafoués, la violence et l’injustice prennent le pas. Nous devons donc, avec détermination, continuer à défendre les principes qui ont permis de bâtir des sociétés pacifiques et prospères : la démocratie, l’État de droit, l’égalité de tous devant la loi.

Il n’y a pas d’autre voie, et le relativisme des uns, les fausses vérités des autres, tous ceux qui chaque jour viennent prétendre que d’autres modèles sont possibles, se gardent bien de reconnaître que ces modèles-là, se fichent pas mal de la liberté et de la dignité humaine.

La France, forte de son histoire et de son réseau diplomatique unique, a toujours joué un rôle majeur sur la scène internationale pour promouvoir ces valeurs. Nous l’avons vu lors du discours de Dominique de Villepin à l’ONU en 2003, lorsqu’il s’éleva contre l’intervention militaire en Irak, au nom du droit international. Ce courage diplomatique, cette voix singulière, nous devons la préserver et la renforcer.

La paix en Polynésie : un engagement local et global

En Polynésie française, la paix prend aussi une forme particulière. Elle repose sur un équilibre fragile entre modernité et tradition, entre le développement économique nécessaire et la préservation d’un environnement exceptionnel. Elle repose aussi sur la protection de notre identité, sur la transmission de nos valeurs aux générations futures. Car la paix, ici comme ailleurs, doit être fondée sur la justice sociale, sur l’inclusion, et sur le respect de la dignité de chaque individu.

C’est pourquoi, en cette Journée de la Paix, nous devons réaffirmer notre engagement à construire des sociétés justes et équitables, à lutter contre les inégalités, qu’elles soient économiques, sociales, ou environnementales. La paix n’est pas seulement l’absence de conflits armés ; elle est un état d’harmonie qui ne peut exister sans justice, sans solidarité, et sans compassion.

C’est notre droit et c’est notre honneur de chercher à bâtir un monde meilleur, de préserver ce que nous sommes, de réaffirmer nos identités. Méfions-nous cependant des initiatives sournoises des États despotiques dont l’amitié ne repose que sur l’intérêt. Méfions-nous des fausses bienveillances. Méfions-nous de ceux qui pervertissent nos propres valeurs et dont la fausse amitié n’a de but que de nous soumettre et d’imposer au Monde un ordre qui ne se fonde que sur la violence, la terreur et la haine.

Nous savons nous en Polynésie qu’il n’y a pas d’opposition entre Nature et Culture, entre l’Homme et la Nature et entre ce que peut bâtir l’Homme et ce que peut accepter la Nature. L’homme est Nature avons-nous coutume de dire et aujourd’hui plus qu’en toute autre époque cette affirmation est essentielle pour l’idée même que nous avons de la Paix parce que de notre engagement pour la Nature, pour l’environnement, pour le climat, pour chacune de nos îles menacées, dépend notre engagement pour la Paix.

C’est probablement ce message-là que la Polynésie portera en juin 2025 à Nice, lors du sommet des Nations Unis sur l’Océan. Nous n’avons besoin de personne pour porter cette parole de bon sens et d’espoir, cette parole que les peuples océaniens portent depuis le fond des âges, cette parole si forte qu’elle transcende les clivages et rassemble tous les hommes et les femmes de bonne volonté.

Conclusion : transmettre l’héritage de la paix

Alors oui, nous célébrons aujourd’hui la paix mais nous nous rappelons qu’elle est un bien fragile, qui doit être préservé avec soin. C’est un héritage que nous devons transmettre à nos enfants, non seulement à travers nos mots, mais surtout à travers nos actes. Nos actes au quotidien, et nos actes de personnes responsables et engagées. Les actes de ceux qui sont en première ligne et les actes des décideurs. Les actes de chacun de nous, où qu’il se trouve, par-delà les écrans numériques et par-delà la réalité virtuelle ou amplifiée, ici et maintenant, dans la seule réalité qui compte, celle du Présent, celle de la Vie, puisque nous sommes le Présent et que nous sommes la Vie.

Nous devons continuer à œuvrer, chaque jour, pour que la paix devienne une réalité durable, fondée sur le respect des droits humains et la coopération entre les peuples.

C’est notre responsabilité collective. Et même si les défis sont immenses, même si parfois nous doutons, nous ne devons jamais renoncer à cette quête de paix. Car elle est la seule voie qui nous permettra de construire un monde plus juste, plus humain, et plus uni.

Dans dix ans, dans vingt ans, dans cent ans, que diront nos enfants, et les enfants de nos enfants, de ces jours si sombres et de ces heures cruelles, de ces instants absurdes et de ces morts inutiles, que diront-ils de ces guerres inégales et de ces conflits atroces ?

Si simplement, si seulement, ils pouvaient dire de nous que nous avons tentés d’être juste et que nous nous sommes employés à préserver la Paix en nous efforçant de bâtir pour eux un monde plus fraternel !

 

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