Le cyclisme français en deuil: « Poupou » s’en est allé
Une légende du cyclisme et du sport tricolore s’en est allée. A 83 ans, Raymond Poulidor est décédé ce mercredi à 2h du matin, laissant derrière lui le souvenir d’un champion au panache et à la longévité exceptionnels, mais surtout l’image d’une idole à tout jamais entrée dans le cœur et dans la mémoire collective des Français.
Rarement un sportif aura été à ce point adulé et adopté par tout un peuple. Avec la disparition de Raymond Poulidor, la France perd l’un de ses enfants chéris, une icône dont la popularité s’est étendue bien au-delà de son immense carrière. Un champion à la générosité inépuisable devenu avec les années un vieux sage au sourire à la fois doux et espiègle. Un mythe du Tour de France aussi, presque malgré lui, car « Poupou » n’est jamais parvenu à remporter la plus grande course du monde, malgré sept victoires d’étapes et huit podiums finaux à Paris, ni même porté le maillot jaune ne serait-ce qu’une journée.
On aurait pourtant tort de résumer Raymond Poulidor à la figure de « l’éternel second » qui l’a toujours escorté et qui a fait une grande partie de sa notoriété. Comme il aimait à le rappeler, le natif de Masbaraud-Mérignat, dans la Creuse, a remporté plus de courses qu’il n’a signé de deuxièmes places au cours de sa carrière de cycliste professionnel, longue de 18 saisons. 189 victoires au total, dont certaines très prestigieuses : un Tour d’Espagne (1964), un Milan-San Remo (1961), une Flèche Wallonne (1963), deux Critériums du Dauphiné (1966 et 1969) et deux Paris-Nice (1972 et 1973).
Un talent fou, un cœur énorme
A l’instar de Jacques Anquetil ou d’Eddy Merckx, qui furent successivement ses rivaux principaux, Raymond Poulidor appartient à une époque où les grands champions cyclistes étaient capables de briller sur tous les terrains. Fils d’exploitants agricoles dans la région du Limousin, “Poupou” avait connu une enfance rurale et été amené au vélo par ses frères aînés André et Henri, avec lesquels il participa à ses premières courses locales.
Rapidement, le jeune Raymond montre un énorme potentiel. Il brille en amateur et se rapproche du monde professionnel, mais à 20 ans, il doit mettre sa carrière entre parenthèses pour partir faire son service militaire. A son retour deux ans plus tard, Poulidor redouble d’efforts à l’entraînement et reprend vite sa progression, qui l’amènera à passer pro en 1960, l’année de ses 24 ans, au sein de l’équipe Mercier du mythique directeur sportif Antonin Magne. La suite fait partie de l’histoire du cyclisme, avec cette carrière fleuve tout au long de laquelle le Creusois aura étalé son talent fou et son cœur énorme.
“On ne peut pas empêcher les gens d’avoir de la sympathie pour vous”
Face au pragmatisme froid et implacable d’un Jacques Anquetil, Raymond Poulidor incarne rapidement un cyclisme plus passionné et plus spectaculaire, plus humain aussi. Ses défaites récurrentes dans le Tour face au Normand vont encore accentuer cet antagonisme dans l’esprit du grand public. “On avait quand même réussi à diviser la France en deux”, résumait en 2013 « l’éternel second », dans une interview accordée à Notre Temps. Et s’il ne vainquit pas Anquetil sur la route, “Poupou” gagna largement cette bataille-là.
Paradoxalement, la popularité du champion limousin a ainsi été autant, sinon plus, alimentée par ses échecs que par ses exploits. Ce qui a fait définitivement entrer Poulidor dans le cœur des Français, c’est bien cette malchance à répétition, ces imprévus rocambolesques qui le privèrent de trois victoires potentielles sur le Tour en 1964 (où il livra un duel légendaire à Jacques Anquetil), 1965 et 1968, où c’est une chute qui le priva d’un maillot jaune qui lui semblait promis. “Le vrai Poulidor était né, le gars malchanceux qui a toujours des ennuis, constatera l’intéressé en 1972 dans les colonnes de L’Equipe. Et que voulez-vous que j’y fasse ? À ce niveau, la popularité, c’est inexplicable. On ne peut pas empêcher les gens d’avoir de la sympathie pour vous.”
Un héros à visage humain
Au-delà des lieux communs sur les penchants des Français pour les perdants magnifiques, il y a en effet quelque chose confinant à l’irrationnel dans l’histoire d’amour entre le public tricolore et Raymond Poulidor, quelque chose de viscéral. Son panache et son courage sur le vélo, sa personnalité sincèrement chaleureuse, sa volonté farouche et inentamable, tout cela a contribué à façonner un personnage d’un héroïsme sans bornes, auquel, pourtant, tout un chacun pouvait s’identifier.
De la même manière qu’il a transcendé les Français, “Poupou” a aussi été transcendé par cette Grande Boucle qui s’est toujours refusée à lui, mais dont il a incontestablement marqué l’histoire. Recordman du nombre de podiums sur le Tour (8), le Masbarautin a écrit quelques unes des plus belles pages de son histoire, et ce jusqu’au bout de sa carrière, puisqu’il fut dauphin de Merckx en 1974 à 38 ans et encore 3e en 1976, à plus de 40 ans ! Sa retraite sportive n’avait d’ailleurs nullement entamé cet attachement intime, Raymond Poulidor mettant un point d’honneur à être présent chaque année sur les routes de juillet (il a participé en 2019 à son 57e Tour de France, comme coureur ou suiveur). “Le jour où je ne ferai plus le Tour, ce sera la fin”, avait-il déclaré en 2016. A n’en pas douter, la Grande Boucle sera un peu orpheline en 2020…
Source: Yahoo actualités